Le Tribunal fédéral confirme et précise sa jurisprudence sur le statut des chauffeurs Uber

Dans un arrêt du 16 février 2023[1], le Tribunal fédéral a tranché le litige qui opposait la Caisse de compensation de Zurich et Uber B.V., les deux parties ayant formulé un recours contre le jugement du Tribunal des assurances sociales de Zurich du 20 décembre 2021.

La Haute cour s’est penchée sur plusieurs questions litigieuses, dont trois seront traitées ci-après : le statut des chauffeurs Uber, la « présomption » de statut de salarié pour les chauffeurs Uber et l’existence d’un établissement stable en Suisse.

  1. Statut des chauffeurs Uber
    Le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence : les chauffeurs Uber exercent une activité lucrative dépendante. En effet, les directives édictées par Uber B.V. laissent peu de marge de manœuvre aux chauffeurs, le respect de ces instructions est contrôlé par le biais de l’application, le rapport de subordination existe dans des domaines essentiels et les chauffeurs ne supportent pas ou peu le risque de l’entrepreneur (réalisation d’investissements importants, supporter le risque d’encaissement, emploi de personnel, locaux commerciaux propres, etc).
    L’argumentation du Tribunal fédéral s’agissant du statut de salarié des chauffeurs Uber a été développé dans la veille législative : « le statut de salarié des employé-e-s Uber »[2].
  2. « Présomption » de statut de salarié pour les chauffeurs Uber
    Le Tribunal des assurances sociales de Zurich a estimé nécessaire que la Caisse de compensation étudie au cas par cas la relation entre les chauffeurs Uber et Uber B.V. afin de déterminer leur statut. Au vu du grand nombre de chauffeurs (près de 600), la Caisse de compensation a exigé une décision en constatation. Par une telle décision, le Tribunal définit un chauffeur « type » pour lequel le statut de salarié est admis. Ce constat permet ainsi d’éviter de procéder à un examen individuel de chaque relation contractuelle entre Uber et les différents chauffeurs.
    Le Tribunal fédéral a accepté cette demande. Seuls les chauffeurs employant leurs propres chauffeurs salariés ou qui gèrent l’activité Uber par l’intermédiaire d’une personne morale ne sont pas d’emblée considérés comme salariés, leur statut devant être examiner au cas par cas.
  3. Existence d’un établissement stable en Suisse
    Cette question est centrale pour déterminer l’étendue de l’obligation de cotiser de Uber B.V., employeur des chauffeurs. En effet, cette société a son siège au Pays-Bas, si elle dispose d’un établissement stable en Suisse, elle sera tenue de payer des cotisations pour tous ses employés selon la loi sur l’assurance vieillesse et survivants[3]. En revanche, dans le cas contraire, l’obligation de cotiser est fixée par les accords signés avec l’Union européenne. Or, ces accords ne s’appliquent qu’aux ressortissants suisses et aux ressortissants membres de l’UE/AELE. Autrement dit, les chauffeurs, ressortissants d’Etats tiers, seraient considérés comme des salariés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations et devraient verser eux-mêmes des cotisations s’élevant à 8,7% de leur salaire, sauf si l’employeur est d’accord d’en verser la moitié[4]. En droit des assurances sociales, la notion d’établissement stable est plus large qu’en droit fiscal. En effet, pour être reconnu comme tel, il n’est pas nécessaire qu’une partie qualitativement ou quantitativement importante de l’activité commerciales soit exercée dans l’établissement stable. Il s’avère que Uber Switzerland Sàrl met à disposition de Uber B.V. des bureaux de manière permanente à Zurich et qu’une partie de son activité commerciale s’y déroule, les conditions pour admettre un établissement stable sont donc remplies. Uber B.V. est donc tenu de payer les cotisations de tous ses employés. 

Cet arrêt, bien que concernant les chauffeurs zurichois, est applicable dans toute la Suisse. Les employé-e-s d’Uber, en passant à un statut de salarié, voient leur protection sociale nettement améliorée (chômage, protection en cas de maladie, etc.) et leurs charges sociales diminuées. De plus, en tranchant la question de l’existence d’un établissement stable et en définissant un chauffeur « type » pour lequel le statut de salarié est reconnu, le Tribunal fédéral a grandement facilité le travail des caisses de compensation souhaitant recouvrer les cotisations sociales dues.

> Pour d’autres éclairages, voir notre rubrique  Travail >> Marché du travail >> Emploi précaire ou atypique >> Travail atypique et protection sociale


[1] Arrêts 9C_70/2022, 9C_76/2022 du 16 février 2023, voir aussi le communiqué de presse du Tribunal fédéral

[2] Arrêt 2C_34/2021 du 30 mai 2022, traité dans une veille législative de l’ARTIAS : « Le statut de salarié des employé-e-s d’Uber ».

[3] Art. 12 al. 2 LAVS.

[4] Art. 6 LAVS.