Publicité pour les cartes de crédit : l’autorégulation fait-elle ses preuves ?

Le Département fédéral de justice et police a indiqué dans un communiqué que la nouvelle convention contre la publicité agressive pour le crédit à la consommation remplit ses objectifs[1].

À la suite de l’adoption d’une initiative parlementaire demandant l’interdiction de la publicité pour le crédit à la consommation[2],  le Parlement a adopté en 2015 une modification de la Loi sur le crédit à la consommation (LCC), qui prohibe à son article 36a, la publicité agressive et la sanctionne par une amende.

Le législateur a laissé le soin à la branche du crédit de définir la notion de publicité agressive (en vertu du principe d’autorégulation), qui fait dès lors l’objet d’une convention. Par suite de la dissolution de l’une des organisation partie à la convention, l’association « Swiss Payment Association » a révisé cette dernière et l’a soumise à l’avis du Conseil fédéral en juin dernier.

Le Conseil fédéral estime que la convention révisée est équivalente à l’ancienne, que l’autorégulation fonctionne et qu’il n’est donc pas nécessaire de légiférer.

La nouvelle convention est en effet publiée, en allemand uniquement, sur le site de l’association[3]. Elle prohibe certaines formes de publicité, telles que :

  • donner l’impression que la demande de carte de crédit[4] débouche automatiquement sur l’octroi de la carte, sans contrôle de solvabilité ;
  • inciter le consommateur à régler des dettes ou d’autres crédits par le biais de sa carte ;
  • faire croire que l’option de crédit représente le moyen de paiement idéal au financement de vacances ou de loisirs ;
  • faire de la publicité pour l’option de crédit qui s’adresse spécialement aux personnes de 25 ans et moins.

Rappelons que l’acquisition de biens ou de services en utilisant l’option de crédit de sa carte est, à notre connaissance, le moyen de paiement existant le plus onéreux qui soit à disposition du consommateur, que ce soit en termes d’intérêts, de frais, ou d’options de remboursement.

En effet, les taux d’intérêts afférents aux cartes se montent au maximum à 12%, contre 10% maximum pour les crédits à la consommation[5] et 5% usuellement pour les factures en retard (intérêts moratoires). De plus, contrairement au crédit, il est possible de conserver, dans les limites des obligations contractuelles, un solde négatif, donc de payer chaque mois des intérêts, sans obligation de remboursement du solde à une échéance donnée. Contrairement au crédit à la consommation encore, l’octroi d’une carte s’effectue sur la base d’un contrôle de solvabilité sommaire[6].

Ajoutons à ces considérations la multiplication de ce type de moyens de paiement notamment en lien avec des marques ou des enseignes connues[7], tant dans un but d’accroissement de la consommation que de la fidélisation des clients et la banalisation de son usage dans le sillage de la digitalisation.

Pour toutes ces raisons, les cartes de crédit peuvent constituer un cocktail explosif en matière de risques de surendettement, notamment en cas de fragilité financière ou d’augmentation du coût de la vie.

Au regard de ces observations, l’option prise par la Confédération, celle de l’autorégulation, peut étonner. L’un des arguments en sa faveur est que la commission de la loyauté, organe de surveillance, n’a pris que deux décisions durant les six dernières années[8].

L’absence de réaction de l’organe de surveillance pourrait toutefois également résulter de l’étroitesse de la définition de la publicité agressive. Pour ne prendre qu’un exemple d’une campagne considérée a priori conforme, la carte de crédit « Certo » de Cembra, est décrite comme suit[9] :

  • Un remboursement à chaque achat ? Mais bien sûr, avec la nouvelle Certo !
  • Gratuite, sans cotisation annuelle
  • Remboursement de 1% chez vos trois commerçants préférés
  • Et remboursement de 0,33% partout ailleurs
  • 50 francs de crédit initial offert

Faire une demande sans frais !

Ce n’est que bien après les messages publicitaires, en bas du site, que les conditions de crédit sont révélées, à savoir que si le consommateur ne règle pas l’entier de la somme à la fin du mois, le taux d’intérêt s’élève à 11.95%. Cela signifie par exemple que si la carte conserve un solde négatif de 4’000 francs pendant 12 mois, le loyer de cet argent s’élève à presque 500 francs (478 francs). Y est aussi mentionné que l’octroi d’un crédit est interdit s’il occasionne le surendettement du consommateur (art. 3 LCD).

Au moment de sa délivrance, la carte de crédit n’occasionne en effet pas nécessairement le surendettement du consommateur, mais plutôt, en cas de l’utilisation de l’option de crédit, son endettement. Ce dernier peut posséder plusieurs cartes ; leur existence sera inscrite dans le centre de renseignement lorsque le consommateur fera usage de son option de crédit trois fois de suite, l’annonce n’est pas obligatoire lorsque le montant qui reste à payer est inférieur à 3000 francs (art. 27 al.1 LCC), contrairement au crédit à la consommation ou au leasing, qui y sont notifiés directement (art. 25 et 26 LCC).

Si, comme il est mentionné sur le site de « Swiss payment association », le surendettement est notamment dû à des évènements imprévisibles de la vie[10], la situation peut être aggravée par l’utilisation de moyens de paiement onéreux pour le consommateur, surtout en cas d’impossibilité de remboursement rapide. Actuellement, l’entière responsabilité morale du surendettement est imputée au débiteur[11]. Du point de vue de la prévention, il serait opportun de réfléchir aux messages que la publicité délivre, sur un ton léger et joyeux, en dissonance avec les risques que ces moyens de paiement font effectivement peser sur les budgets des consommateurs.

Pour d’autres éclairages, voir notre rubrique Social >> Pauvreté >> Endettement


[1] Selon la teneur d’un communiqué de presse du Département fédéral de justice et police publié le 31.08.2022 : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-90135.html

[2] Initiative parlementaire 10.467 Aubert.

[3] https://www.swiss-payment-association.ch/wp-content/uploads/2022_SPA_Werbekonvention_def.pdf, consulté le 09.09.2022.

[4] Le texte de la convention parle d’instrument de paiement avec option de crédit, nous simplifions les propos en utilisant l’expression de « carte de crédit ».

[5] Art. 1 de l’Ordonnance relative à la Loi fédérale sur le crédit à la consommation (OLCC).

[6] Art. 30 LCC.

[7] À titre d’illustration, le palmarès des « meilleures cartes de crédit » du site comparis.ch, consulté le 9 septembre 2022, https://fr.comparis.ch/kreditkarten/resultoverview.

[8] Selon le communiqué de presse du 31.08.2022.

[9] https://certo-card.ch/one/fr/, consulté le 9 septembre 2022.

[10] https://www.swiss-payment-association.ch/fr/cartes-de-credit/securite-responsabilite/cartes-de-credit-nencouragent-pas-le-surendettement/, consulté le 9 septembre 2022.

[11] https://www.swiss-payment-association.ch/fr/cartes-de-credit/securite-responsabilite/prevention-contre-le-surendettement/, consulté le 09.09.2022.