L’octroi du permis F sur une longue durée va-t-il tomber aux oubliettes ?

Pas encore. Toutefois, les contradictions inhérentes[1] à l’admission provisoire occupent les tribunaux à intervalles régulières. Voici l’un des derniers arrêts du Tribunal fédéral à son sujet[2].

Le Tribunal fédéral accorde une autorisation de séjour (permis B) à une écolière syrienne de 15 ans, qui était auparavant détentrice d’une admission provisoire (permis F), en respect de son droit à la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).

L’adolescente A., née en 2009, est arrivée de Syrie en 2014. Comme toute sa famille, elle a reçu un permis F. En 2021, elle a déposé une demande de permis B (autorisation de séjour), qui a été rejetée. Elle recourt contre cette décision. Le Tribunal fédéral a admis son recours et a renvoyé la cause au service de la population afin qu’un permis B soit octroyé à la requérante.

La Haute cour se fonde sur la protection de la vie privée, inscrite à l’article 8 CEDH ainsi que sur les articles 3 et 6 al.2 de la Convention des droits de l’enfant (CDE) en tant qu’ils garantissent le droit à un développement harmonieux.

Le Tribunal fédéral retient que le statut d’admis provisoire peut, dans certaines situations, porter atteinte à la vie privée telle que protégée par l’article 8 CEDH. Pour déterminer cela, il examine si les inconvénients juridiques et factuels que ce statut présente par rapport à celui conféré par une autorisation de séjour entraînent, dans le cas concret, une ingérence dans la vie privée. Pour les personnes mineures, l’examen doit se faire en prenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, indépendamment de celui des parents.

Dans l’arrêt 2C_198/2023 du 7 février 2024[3],  la Haute cour s’est penchée sur les inconvénients liés au statut d’admis provisoires concernant des enfants âgés de 10 et 12 ans, qui avaient ce statut depuis un peu moins de dix ans. La Cour fédérale avait relevé que le permis F pouvait entraîner des inconvénients en matière d’intégration progressive, qu’il restreignait la mobilité géographique et l’accès à une place d’apprentissage. Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral avait toutefois estimé qu’au vu des circonstances et de l’âge des enfants, les inconvénients liés à l’admission provisoire ne revêtaient pas encore une intensité suffisante pour porter atteinte au droit au respect de la vie privée.

En l’espèce, la recourante est âgée de 15 ans et ressent plus fortement les désavantages liés au statut d’admis provisoire. Plus elle s’approche de la majorité, plus elle doit pouvoir se projeter dans un avenir dans le pays d’accueil et pouvoir envisager, à terme, une naturalisation. Dans sa situation, les contraintes liées à la mobilité internationale peuvent être considérée comme une atteinte à son droit au respect de la vie privée, car elle peut être amenée à voyager seule, à des fins de formation ou dans le cadre de sorties scolaires.

Surtout, estime la Haute cour, la recourante à bientôt atteint la fin de sa scolarité obligatoire et est concrètement confrontée à la question de la poursuite de son parcours et son admission provisoire peut constituer un frein à cet égard.

Ensuite, le Tribunal fédéral examine d’une part l’intégration et d’autre part l’exigibilité du départ vers la Syrie afin de déterminer si cette atteinte permet à la recourante d’obtenir une autorisation de séjour. L’intégration de cette dernière est réussie : elle qui vit en Suisse depuis environ neuf ans. Elle a une excellente maîtrise du français, est très bien intégrée et a d’excellents résultats scolaires compte tenu des circonstances. Sous l’angle de l’intérêt public, il n’apparaît pas que le statut d’admis provisoire puisse être levé et son renvoi vers la Syrie ordonné dans un avenir prévisible. De toute évidence, poursuit la Haute cour, la recourante va poursuivre de toute façon sa formation et son parcours en Suisse. Compte tenu de toutes les circonstances, son intérêt privé à être mise au bénéfice d’une autorisation de séjour l’emporte sur l’intérêt public au maintien d’une admission provisoire.

Le recours de A. est admis.

Lien vers le communiqué de presse du Tribunal fédéral.

Pour d’autres éclairages, voir nos rubriques Migration >> En général et Asile


[1] Défini à l’article 83 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), le permis F suit une décision de refus de permis de séjour et est octroyé si l’exécution du renvoi n’est pas possible, pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée. L’admission ne correspond pas à un droit de séjour ordinaire et peut n’avoir de provisoire que le nom.

[2] Arrêt 2C_157/2023 du 23 juillet 2024 (fr. / suggéré pour publication).

[3] Publié aux ATF 150 I 93.