AI: élargissement de la jurisprudence du TF, l’OFAS va-t-il trop vite?

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Comme indiqué dans une précédente actualité, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en matière d’évaluation du droit à une rente AI en cas de troubles somatoformes douloureux et d’affections psychosomatiques (arrêt 9C_492/2014 du 3 juin 2015, avec extraits traduits en français).  Le Tribunal fédéral a abandonné la présomption selon laquelle de tels troubles peuvent être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible et a notamment mis l’accent sur les ressources de la personne qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser ainsi la capacité d’exécuter une tâche ou une action.

Suite à cette jurisprudence, l’OFAS a élaboré un catalogue de questions en relation avec l’établissement des expertises médicales.

Le 9 septembre 2015, l’AI a publié ce catalogue constituant un mandat contraignant pour les offices AI (Lettre circulaire AI n. 339 / mandat concernant les expertises médicales). Ce catalogue ne s’applique toutefois pas qu’aux trouble psychosomatiques, mais à toutes les atteintes à la santé. Dans sa lettre circulaire, l’OFAS indique :

« Ce mandat s’applique indistinctement à toutes les atteintes à la santé. En effet, dans l’optique d’une instruction ciblant les ressources et les capacités de la personne assurée, une différenciation entre troubles psychosomatiques et autres atteintes ne se justifie plus. »

L’OFAS a vu dans cet arrêt du Tribunal fédéral « une chance pour l’AI ». Dans le dernier numéro de Sécurité Sociale (Sécurité Sociale CHSS 5/2015), le chef du secteur Procédures et rentes du domaine AI à l’OFAS a commenté l’élargissement du champ d’application de cet arrêt par l’OFAS:

« Dans l’optique de la réadaptation, l’AI se penche déjà – à tout le moins depuis la 5e révision – davantage sur les ressources dont dispose encore l’assuré que sur ses déficits. Ce n’est qu’en sachant avec précision ce dont l’assuré est encore capable qu’elle peut l’aider à se réinsérer sur le marché du travail. Par conséquent, l’assurance estime que la procédure d’établissement des faits désormais prévue par le Tribunal fédéral doit s’appliquer non seulement aux troubles psychosomatiques, mais à toutes les atteintes à la santé. »(…)

« L’AI voit dans l’arrêt du Tribunal fédéral l’occasion d’axer ses examens encore plus fortement et plus systématiquement sur les ressources et de poursuivre le principe de la primauté de la réadaptation sur la rente de manière encore plus ciblée. »

Il s’agit ainsi d’un changement important effectué rapidement et qui pose certaines questions. Par exemple, dans son arrêt du 3 juin 2015 concernant les troubles somatoformes, le Tribunal fédéral a « maintenu, voire renforcé » (8C_562/2014 du 29 septembre 2015), la portée des motifs d’exclusion (discordance manifeste entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d’intenses douleurs dont les caractéristiques restent cependant vagues, absence de demande de soins ou de traitement, plaintes très démonstratives qui laissent insensible l’expert, allégation de lourds handicaps dans la vie quotidienne malgré un environnement psychosocial largement intact) dans ce domaine. L’élargissement du champ d’application de cet arrêt pose ainsi la question de savoir dans quelle mesure ces critères d’exclusion vont s’appliquer dans tous les cas.

Artias – Yvan Fauchère