Le rapport du Conseil fédéral sur la protection sociale des indépendant-e-s, publié le 6 décembre 2024, souligne les disparités significatives entre la couverture sociale des indépendant-e-s et celle des salarié-e-s. Contrairement à ces dernier-e-s, les indépendant-e-s ne bénéficient pas de la prévoyance professionnelle obligatoire, ni de l’assurance-accidents obligatoire. Ils doivent ainsi souscrire eux-mêmes à une assurance perte de gain maladie pour compenser des risques tels que la perte de revenu découlant d’une maladie. Par ailleurs, ils ne sont également pas couverts obligatoirement contre la perte de revenu due à une baisse d’activité ou au chômage[1]. La pandémie de COVID-19, où l’absence de filet de sécurité a en partie été compensée par l’allocation pour perte de gain COVID-19, a mis en évidence la précarité de nombreux indépendant-e-s, en particulier de celles et ceux avec un faible revenu (concernant principalement les femmes). Durant la première année de pandémie, le nombre d’indépendant-e-s qui se sont adressé-e-s à l’aide sociale a alors augmenté significativement.
En réponse à un postulat 20.4141 datant de 2020, le Conseil fédéral a examiné des solutions pour améliorer la protection sociale des indépendant-e-s, explorant trois modèles :
- une assurance-chômage facultative ;
- l’intégration d’une telle assurance dans les allocations pour perte de gain (APG) ;
- et la constitution d’une réserve obligatoire.
Toutefois, toutes ces pistes se heurtent selon le Conseil fédéral à de nombreux obstacles. Il serait par exemple difficile de contrôler si les personnes indépendantes décident elles-mêmes de l’intensité de leur travail de démarchage et des mandats qu’elles acceptent ou refusent. Par ailleurs, il rappelle qu’il est normal dans certains domaines d’avoir des périodes où l’activité est moins importante que d’autres. En outre comment contrôler que les pertes de chiffre d’affaires annoncées sont avérées et suffisent à justifier l’octroi de prestations dans la mesure où les personnes indépendantes ne sont généralement pas à même de fournir des comptes de manière mensuelle ?
Une autre crainte est émise par le Conseil fédéral pour le cas d’une assurance facultative, qu’elle soit intégrée dans les APG ou non. De telles assurances sont exposées au problème de la sélection des risques. Par conséquent, l’assureur serait contraint de facturer une prime fixée selon une tarification commune couvrant l’ensemble des coûts de l’assurance, faisant contribuer les assuré-e-s à faibles risques à la prise en charge de ceux à forts risques. Dès lors, les indépendant-e-s à faibles risques ne seront pas encouragés à s’assurer ou se désassureront du fait d’une prime commune trop élevée pour leur niveau de risque. Cela augmenterait donc les primes, engendrant de nouveaux départs et provoquant une spirale négative.
Par conséquent, le Conseil fédéral privilégie plutôt les initiatives privées, comme celles du syndicat Syndicom, qui encouragent les indépendant-e-s à se constituer des réserves pour faire face à des périodes de baisse d’activité[2]. En d’autres termes, parmi les solutions envisagées, la constitution de réserves sur une base facultative est la stratégie privilégiée. Cette approche est jugée plus réaliste et adaptée, en complément d’un soutien ponctuel comme celui mis en place durant la pandémie de COVID-19.
Ce rapport s’inscrit pleinement dans le débat autour de l’ubérisation[3]. D’une part, la nature même du travail d’indépendant-e les expose à des risques spécifiques et importants en matière de sécurité sociale. D’autre part, cette nature complique, selon le Conseil fédéral, leur prise en charge par une assurance sociale. Il est donc essentiel de souligner l’importance de déterminer avec précaution le statut de chaque personne – indépendant-e ou salarié-e – dans le cadre des assurances sociales, afin d’éviter une qualification « erronée » de salarié-e-s comme étant des indépendant-e-s.
Lien vers le communiqué de presse et le rapport du Conseil fédéral sur la protection sociale des indépendants en réponse au postulat 20.4141 Roduit du 24 septembre 2020 : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-103401.html
Pour d’autres éclairages, voir nos rubriques :
Travail >> Marché du travail >> Travail indépendant
Travail >> Marché du travail >> Emploi précaire ou atypique
[1] Voir le dossier de veille de l’Artias sur le statut d’indépendant, publié en septembre 2024.
[2] Pour constituer cette réserve, chaque montant facturé par les indépendant-e-s est augmenté d’un certain pourcentage (4% dans la proposition) payé par le client-e, auquel s’ajoute une contribution d’un montant équivalent de l’indépendant-e. Le Conseil fédéral donne l’exemple suivant : « une commande d’une valeur de 100 francs : le client paie 104 francs et l’indépendant verse encore 4 francs supplémentaires ».
[3] À cet égard, voir le dossier de veille de l’Artias sur le statut de salarié des employé-e-s d’Uber, publié en juin 2022.