Le rapport le dit dès la première phrase : l’AI vise à réinsérer professionnellement les personnes dont la capacité de gain est limitée ou compromise pour des raisons de santé. Le programme de recherche sur l’AI s’est déjà penché sur différents aspects de la réinsertion. Dans cette étude, la parole a été donnée aux personnes assurées.
Les questions étaient très larges, elles incluent le parcours familial et professionnel, l’état de santé et le traitement, l’expérience de la réadaptation, l’entourage et la qualité de vie ressentie par les assurées et les assurés. Les personnes interviewées présentaient soit des troubles de type musculo-squelettique (comme la fibromyalgie) ou d’ordre psychiques.
Une réinsertion réussie avec un revenu de 1’000.- francs par mois
L’un des objectifs de l’étude consistait à identifier les facteurs de réussite de la réinsertion. Au départ, la réussite avait été décrite par l’obtention d’un revenu de 3’000.- francs par mois pendant plus d’un mois pendant l’année 2015, mais les critères ont dû être baissés car trop peu d’assuré-e-s et d’assurés les remplissaient. La mesure du succès de la réinsertion est un revenu moyen d’au moins 1’000.- par mois en 2015 sans avoir touché ni des prestations de l’AI, ni de l’assurance-chômage. Le recours à l’aide sociale n’est pas pris en compte.
Les mesures de réinsertion entraînent des effets : si 40% des personnes assurées ont une activité lucrative au début des mesures, elles sont 65% à la fin. Il y a moins d’assurées et d’assurés au chômage, toutefois, 2/3 d’entre eux ont besoin d’une aide financière supplémentaire pour vivre (notamment sous la forme d’une rente partielle). L’étude montre aussi que si un peu plus de la moitié des personnes réinsérées avec succès travaillent à temps plein (53,4%), la majorité d’entre-elles a également besoin d’une aide financière supplémentaire pour s’en sortir (économies, proches, aide sociale…). Pour les personnes qui ne parviennent pas à se réinsérer, le taux d’aide sociale est, au moment de l’étude, d’un peu moins de 20%, environ 30% recourent à l’aide de proches et 18% puisent dans leurs économies.
L’étude montre que les personnes qui souffrent de troubles musculo-squelettiques réussissent mieux à se réinsérer que les malades psychiques (45% de « réussite » contre 25%) et que la réinsertion dépend beaucoup de la bonne santé générale de l’assuré-e et de son intégration socio-professionnelle et familiale de départ (niveau de formation, présence d’un réseau familial, vie de couple, situation financière relativement saine, bon logement…). Notons également l’impact non-négligeable d’un licenciement : d’après l’étude, les personnes qui n’ont jamais subi un licenciement ont 70% de réussite de réinsertion en plus que celles qui ont été licenciées.
Le point de vue des personnes assurées
Plus que les résultats, somme toute modestes, de la réinsertion, c’est la parole des personnes assurées qui est intéressante : toutes relatent que la phase qui précède immédiatement l’intervention de l’AI est très difficile, tant financièrement que sur le plan de la santé physiologique et psychique. La majorité des assuré-e-s se sent plus mal psychiquement avant la mesure de réinsertion qu’après. Le long délai d’attente est aussi ressenti négativement.
La maladie change la perception de soi et le rapport aux les autres : elle amène souvent des tensions dans le couple et conduit à l’isolement. Si 2/3 des personnes assurées parviennent à conserver un réseau social, 5% à 10% d’entre-elles se perçoivent comme totalement seules et exclues. L’étude montre également que les personnes assurées se retrouvent de plus en plus isolée avec le temps : le conjoint se sépare, les enfants partent…
Sur le plan de la réinsertion, ce sont les mesures d’intervention précoce qui obtiennent les meilleurs résultats, car elles se déploient dans le cadre d’un emploi existant. La reconversion professionnelle donne également de bons résultats. Toutes les mesures d’ordre professionnel ont, indépendamment de la réussite de la réadaptation, une efficacité sur les capacités de travail de base et la confiance en soi. Toutefois, un tiers des personnes, parmi elles un grand nombre d’assurés très handicapés, estiment que ces mesures ne leur ont rien apporté, voire qu’elles ont aggravé leur état de santé.
Les questions relatives à la qualité de vie révèlent le profond mal-être des assurés : ils jugent leurs perspectives et leur qualité de vie de « très mauvaise » à « ni bonne, ni mauvaise », alors que seuls 8% de la population générale partagent ce sentiment. Or, l’étude montre qu’une mauvaise qualité de vie diminue de 60% les chances de réussite de la réinsertion professionnelle. La même remarque peut être faite pour la santé générale, qui est bien moindre que celle de la population générale : les assurés questionnés souffrent à 90% de fortes douleurs physiques et sont plus de la moitié à souffrir de troubles psychiques, qu’ils aient réussi leur réinsertion ou non.
Le débat mérite d’être élargi
En conclusion, même s’il traite d’aspects importants de la réinsertion et donne la parole aux personnes assurées, le rapport laisse des questions fondamentales ouvertes qui, de notre point de vue, mériteraient elles aussi des études approfondies.
Tout d’abord, il fait l’impasse sur les questions liées à la couverture perte de gain maladie privée, souvent sélective face aux « mauvais risques » et le manque de coordination entre cette assurance et l’AI, notamment en cas de pathologies du type troubles musculo-squelettiques ou psychiques. Cela alors qu’un paiement sans lacune des prestations des diverses assurances représente un facteur essentiel pour la stabilisation de l’état de santé de la personne assurée et augmente notablement les chances de réussite de sa réinsertion.
Ensuite, en parlant de succès de la réinsertion et sans minimiser l’importance de la conservation ou de la reprise de l’activité lucrative, il est important de souligner l’aspect modeste d’un revenu moyen de 1’000.- francs ; cela permet aussi de souligner les difficultés réelles à se réinsérer effectivement dans le marché du travail que rencontrent ces personnes atteintes d’une ou plusieurs maladies chroniques et qui en souffrent quotidiennement
Dans le même ordre d’idée, il serait judicieux de prendre en compte le versement de prestations d’aide sociale, au même titre que les prestations de l’AI et de l’assurance-chômage, dans la définition des critères de la réussite de la réinsertion. Cela permettrait de ne pas cacher le rôle grandissant pris pas l’aide sociale, parfois en lieu et place de prestations d’assurances, dans la composition du revenu de personnes précarisées par la maladie.
Et enfin, le débat sur les possibilités de travail salarié de personnes malades chroniques ou handicapées mériterait d’être considérablement élargi ; en définitive, le succès de leur (ré)insertion dépend avant tout d’une amélioration concrète des conditions cadres qui le permettent et d’une compréhension de leur état et de ce qu’il implique de la part de la société dans son ensemble.
Artias – Paola Stanic, juriste
Lien vers le rapport, en allemand, avec résumé en français.