Annulation de poursuites injustifiées: le Conseil fédéral rate la cible

L’ordonnance sur les émoluments perçus en application de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (OELP) est en consultation jusqu’au 13 juillet 2018. La modification principale réside dans la fixation d’un émolument pour demander la non-publicité d’une poursuite injustifiée.

En Suisse, n’importe qui peut notifier une poursuite, sans raisons valables. Cela pose de nombreux problèmes au poursuivi, car même s’il se défend en formant une opposition, le commandement de payer reste inscrit au registre : un sérieux handicap pour qui veut déménager, contracter un leasing ou travailler dans certaines professions.

En 2009, le conseiller national Fabio Abate demande par initiative parlementaire que les commandements de payer injustifiés soient annulés rapidement.

Or, le Conseil fédéral ne souhaite pas restreindre le droit du créancier, ou de celui qui se prétend tel, d’intenter une procédure de poursuite sans présenter de pièces justificatives. Au contraire, le nouvel article 8a al.3 de la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) prévoit que c’est au débiteur d’agir pour demander à ce que le commandement de payer ne soit plus inscrit dans le registre des poursuites lorsque le créancier n’a pas demandé la continuation de la poursuite dans les trois mois.

À qui cette procédure est-elle utile ?

Pas au le débiteur surendetté, qui reçoit tellement de communications de la part de l’office des poursuites et des créanciers qu’il a totalement perdu le fil des procédures pendantes contre lui et pour qui ouvrir le courrier représente une épreuve psychologique. Comment attendre de ce débiteur qu’en plus de toutes les urgences auxquelles il doit faire face mois après mois, il arrive à se souvenir qu’un commandement de payer envoyé sans cause n’a pas été suivi de la demande de continuation dans les trois mois ?

Elle n’aidera pas non plus le débiteur non spécialiste qui, harcelé par une maison de recouvrement, ne saura faire la différence entre la créance effectivement due et les frais additionnels abusifs et finira par payer l’entier de la facture par gain de paix et peur de la procédure de poursuites. Comment attendre de ce débiteur qu’il connaisse ce que recouvrent les frais 106 CO, qu’il maîtrise les subtilités de l’opposition partielle et que de surcroît, il se souvienne de ce délai de trois mois une fois le commandement de payer reçu ?

Il y a fort à parier que le débiteur qui fera usage de la nouvelle possibilité que lui accorde la LP ne soit pas sujet au surendettement, mais doive faire face à une pression isolée. Il aura une bonne maîtrise des questions administratives et très souvent une formation juridique. Ce débiteur-là pourra peut-être également plus facilement s’acquitter de l’émolument de vingt francs que l’office lui demandera pour enlever le commandement de payer injustifié que les deux débiteurs évoqués dans les paragraphes précédents.

Le surendettement est un problème de fond qu’aucune mesure cosmétique ne fera disparaître.

L’émolument demandé révèle un problème structurel : la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite a été conçue pour punir les mauvais payeurs et les obliger à payer leurs dettes, non pour permettre à des particuliers de sortir du surendettement et de retrouver un libre-arbitre économique. Une autre manifestation de l’intention sous-jacente de la LP se retrouve dans la règle posée à l’article 68, selon lequel l’ensemble des frais de la procédure de poursuite est porté à la charge du débiteur, charge au créancier d’effectuer des avances qui seront remboursées par les saisies. Ajoutés aux intérêts, les frais de chaque acte des offices des poursuites, pour chaque poursuite intentée, gonfle la dette à rembourser et contribue à rendre la saisie chronique et à empêcher les personnes de sortir de leur situation de surendettement.

Lors de la consultation de cette ordonnance, le Conseil fédéral se dit prêt à examiner le coût des émoluments fixés dans l’OELP et le reproche récurrent selon lequel ils permettent aux offices de dégager un bénéfice, comme le postule la motion Nantermod 17.4092 « Réduire les émoluments en matière de poursuite et de faillite. »

Cependant, il est dommage que l’exécutif fédéral ne se soit pas penché plus avant sur la question du surendettement des particuliers et sur l’aggravation de leur situation en raison des frais trop élevés des procédures d’encaissement forcées. Le Conseil fédéral avait pourtant publié un rapport très complet sur le désendettement des particuliers suite au postulat Hêche (13.4193). C’est pour le moins étonnant qu’aucune mention de ce rapport ne figure dans les documents soumis à consultation  lors de la révision de l’OELP.

Artias – Paola Stanic, juriste

Voir le rapport du Conseil fédéral sur le surendettement des particuliers.

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