Que disent celles et ceux qui refusent consciemment d’exercer des droits sociaux ? Quel message adressent ces personnes aux dispositifs pensés pour pallier un manque de revenu ? Tel est l’objet d’une thèse qui vient d’être publiée aux archives ouvertes de l’Université de Genève.
Son autrice, Frédérique Leresche, est ethnologue : elle est allée à la rencontre de potentiel-le-s non-bénéficiaires d’aides – et notamment de l’aide sociale – dans des lieux où ces personnes étaient susceptibles de se rendre. Son sujet d’étude : la non-demande de prestations sociales.
Sans s’arrêter aux motifs habituellement invoqués lorsqu’il est question de la non-demande, en particulier à la problématique de la stigmatisation, elle demande ce que les gens pensent vraiment des dispositifs auxquels ils ne recourent pas et quelles sont leurs attentes envers les systèmes de protection sociale.
Elle nous invite à faire un pas de côté, à nous décentrer de la conception des droits sociaux toujours considérés comme bons pour leurs destinataires. Or, certains d’entre eux ne se reconnaissent pas – ou pas complètement – dans les solutions proposées par les politiques sociales.
Elle constate que les personnes qui renoncent à leurs droits énoncent une critique de la construction des problèmes et de leur solution. Elles ne sont pas des victimes passives, mais font valoir un point de vue particulier sur leur situation : faire émerger ces discours cachés représentait l’un des enjeux de la recherche. Un autre était peut-être de souligner la dimension émotionnelle, corporelle, de ce que vivent les personnes qui ont livré leur histoire de vie à l’enquêtrice. Au-delà d’une appréhension du phénomène basée uniquement sur la raison, ce que ressentent les personnes dans leur chair lorsqu’elles ont froid ou faim construit leur rapport au monde et mérite attention.
Par ailleurs, elle remarque que, contrairement à leur énoncé, les droits ne sont pas universels et les personnes pas égales devant le non-recours. En particulier, les mères célibataires se retrouvent capturées par le droit et contraintes à vivre dans des formes de pauvreté laborieuse. Elle souligne le paradoxe selon lequel, pour gagner en autonomie, le retour sur le marché semble inévitable, alors qu’il signifie souvent (également) précarisation et marginalisation.
Les personnes de nationalité étrangère, quant à elles, se retrouvent contraintes de choisir entre l’exercice de certains droits sociaux et leur permis de séjour ou d’établissement, respectivement leur demande de naturalisation.
Frédérique Leresche termine sa thèse par des questions et des pistes pour la suite : elle souligne que l’invisibilité d’une pratique ne signifie pas pour autant qu’elle soit inexistante et que cette invisibilisation concerne aussi les individus. Ce n’est pas parce qu’un groupe d’individus n’est pas visible qu’il n’est pas présent ou qu’il n’est pas concerné par une problématique. Elle évoque ensuite la question des femmes et des enfants qui vivent sans domicile fixe ou dans des logements précaires.
D’une lecture agréable et fluide, cet ouvrage apporte un éclairage enrichissant sur la question du non-recours. Il est disponible en libre accès sur le site des archives ouvertes de l’Université de Genève : cliquez ici
L’autrice présente aussi les résultats de sa recherche dans une courte vidéo : cliquez ici
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