Assurance-invalidité – Le Conseil fédéral a dit : dix pour cent, c’est suffisant !

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Modification du règlement sur l’assurance-invalidité : du nouveau dans le calcul du revenu après invalidité.

Qui demande une rente AI après avoir exercé une activité lucrative est concerné par le sujet : comme l’assurance-invalidité vise à couvrir, dans ces situations, la perte de gain, le taux d’invalidité est déterminé par comparaison entre d’une part, le revenu avant invalidité et d’autre part, le revenu après la survenance de celle-ci.

Cette méthode est aussi applicable en cas de travail à temps partiel, elle est toutefois combinée à l’examen de travaux habituels effectués par la personne assurée dans son ménage[1].

L’une des problématiques que pose la comparaison des revenus est de savoir quel revenu après invalidité retenir, lorsque la personne assurée n’en exerce plus, mais pourrait, selon l’AI, tout de même travailler dans une activité adaptée. Actuellement, les Offices AI utilisent les données sur le salaire médian de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) pour déterminer la hauteur du revenu hypothétique après invalidité.

Le salaire est-il le même après et avant l’invalidité ?

Depuis de nombreuses années, il est reconnu que les salaires de l’ESS sont trop élevés et qu’il faudrait des tabelles spécifiques pour déterminer les revenus hypothétiques après invalidité.

De nombreuses praticiennes et praticiens et des experts et expertes reconnues ont proposé de calculer le revenu hypothétique après invalidité selon des méthodes estimant plus justement les salaires que les personnes atteintes dans leur santé peuvent réaliser. En particulier, Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler ont proposé, en 2021, une méthode permettant de tenir compte des répercussions de l’invalidité sur les possibilités de gain[2]. La même année, l’assurance de protection juridique Coop a organisé un symposium sur la même problématique, en proposant à nouveau une alternative étayée[3].

Dans un arrêt récent[4], le Tribunal fédéral a été saisi par une personne assurée, qui lui a notamment demandé de se prononcer sur la légalité de l’ESS comme base de calcul pour déterminer le salaire hypothétique après invalidité.

Même si la Haute cour a affirmé à plusieurs reprises que l’utilisation des barèmes de l’ESS représentait une solution transitoire[5], il a refusé de modifier ce mode de calcul, estimant qu’il revenait au législateur de le faire.

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national demande d’opter pour des barèmes correspondant à l’invalidité

En mars 2022, la CSSS-N dépose une motion demandant au Conseil fédéral d’instaurer une base de calcul tenant compte des possibilités de revenu réelles des personnes atteintes dans leur santé, en lui demandant d’intégrer la solution proposée par Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler. Cette motion a été adoptée en fin d’année 2022 par les deux conseils.

La réponse du Conseil fédéral est-elle conforme à la volonté du Parlement ?

En réponse à la motion 22.3377, le Conseil fédéral décide d’appliquer une déduction forfaitaire de 10% aux tabelles de l’ESS. Dans son communiqué de presse, le Conseil fédéral relève que le groupe de travail de spécialistes mis en place par l’OFAS[6] et l’OFSP[7]a estimé que « l’élaboration de barèmes salariaux adaptés est une tâche très exigeante qui serait impossible à réaliser rapidement ». L’abattement de 10% s’appliquera au calcul des nouvelles rentes ainsi qu’aux rentes en cours, qui devront être révisées dans les trois ans. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle de 50% ou moins, l’on opère une déduction de 20%. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.

Les dispositions transitoires prévoient que si la révision devait conduire à une diminution ou à une suppression de la rente, il y sera renoncé. Par contre, si elle devait conduire à une augmentation de cette dernière, elle prendra effet à l’entrée en vigueur de la modification du RAI. Par ailleurs, lorsque l’octroi d’une rente ou d’un reclassement avait été refusé avant l’entrée en vigueur de cette modification en raison d’un taux d’invalidité insuffisant, une nouvelle demande n’est examinée que s’il est établi que le calcul aboutirait cette fois à la reconnaissance d’un droit à la rente ou d’un reclassement.

Le Conseil fédéral s’appuie sur les résultats de la procédure de consultation publique[8] pour justifier sa décision. Or, de nombreuses prises de position soulignent d’une part l’inadéquation de l’ESS pour rendre compte de la réalité de revenus qui peuvent être réalisés après une atteinte à la santé et demandent un barème de salaire fondé sur le modèle développé par Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler. D’autre part, la grande majorité des participants qui se déclarent favorables à l’introduction d’une déduction forfaitaire trouvent celle proposée par le Conseil fédéral trop basse. En effet, des études statistiques montrent que la différence entre les salaires des personnes bien portantes et des personnes atteintes dans leur santé se monte à 17% et non 10%[9].

La modification du règlement sur l’assurance-invalidité entrera en vigueur au 1er janvier 2024.

> Pour d’autres éclairages, voir notre rubrique Social >> Assurances sociales >> Assurance-invalidité


[1] Il s’agit de la méthode mixte. Voir par exemple, https://www.proinfirmis.ch/fr/guide-juridique/rentes-et-prestations-complementaires/notion-dinvalidite-et-evaluation-de-linvalidite.html, 23.10.2023.

[2] Gabriela Riemer-Kafka, Urban Schwegler: Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn. In: SZS 6/2021, p. 287-319.

[3] https://www.wesym.ch/de/home, 23.10.2023. Dans ce cadre était présenté une étude du bureau BASS et un avis de droit. L’étude du bureau BASS: Jürg Guggisberg (et al.) : Invaliditätsbemessung mittels Tabellenlöhnen der Lohnstrukturerhebung, 02/2021, https://www.buerobass.ch/kernbereiche/projekte/invaliditaetsbemessung-mittels-tabellenloehnen-der-lohnstrukturerhebung-lse/project-view; l’avis de droit: Thomas Gächter (et al.): Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung, 22.01.2021, https://www.wesym.ch/de/rechtsgutachten, 23.10.2023.

[4] ATF 148 V 174, 8C_256/2021 du 9 mars 2022. Cet arrêt a fait l’objet d’un document de Veille Artias : https://artias.ch/artias_veille/calcul-du-degre-dinvalidite-le-tribunal-federal-renvoie-la-question-au-legislateur/, 23.10.2023.

[5] ATF 139 V 592 consid. 7.4., ATF 142 V 178.

[6] Office fédéral des assurances sociales.

[7] Office fédéral de la santé publique.

[8] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/83493.pdf, 23.10.2023.

[9] OFAS : Modification du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité (RAI), mise en œuvre de la motion CSSS-N 22.3377 « utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité ». Rapport sur les résultats de consultation, octobre 2023, p.4/19.