L’enquête SILC (Statistics on income and Living Conditions) est une enquête européenne qui sert à analyser la distribution des revenus, la pauvreté, l’exclusion sociale et les conditions de vie au moyen d’indicateurs comparables dans les 30 pays européens qui participent à l’étude. L’office fédéral de la statistique a récemment publié les chiffres pour la Suisse.
Pas de chiffres – pas de problèmes ?
Relevons tout d’abord que le module sur l’endettement intégré à l’enquête SILC dès 2008 comprenait moins de questions en 2022, ce qui est regrettable, d’autant plus que ce manque de données touche la période de la pandémie de COVID-19. Ainsi, il faudra attendre 2026 pour connaître l’évolution du nombre de ménages dans lesquels une procédure de poursuites a été menée ou un acte de défaut de biens délivré[1]. Le même constat doit être effectué pour les données concernant les cartes de crédit[2].
Par ailleurs, l’absence de différenciation entre endettement et surendettement rend difficile l’interprétation des chiffres présentés : ainsi, la présence d’un crédit personnel (ou encore plus d’une hypothèque), sans autres indications, représente une dette, donc un endettement, mais pas nécessairement un surendettement, contrairement à ce que laissent supposer la présence d’arriérés de paiement, de dettes de types différents et encore plus d’un acte de poursuite. Il en va de même pour les leasings ou les cartes de crédits, des instruments totalement banalisés à notre époque et qui, à eux seuls, ne permettent pas de tirer des conclusions sur le surendettement des ménages qui y recourent.
Ce « mélange des genres » affaiblit par exemple la portée du diagramme illustrant le pourcentage de la population vivant dans un ménage avec des dettes[3], puisqu’y figurent leasing, hypothèque hors résidence principale, arriéré de paiement, dette auprès de proches, achat par acompte, crédit à la consommation, compte à découvert et impayé sur cartes de crédits. Ainsi, une personne possédant une résidence secondaire hypothéquée, un leasing et un prêt à la consommation sera comptabilisée comme « cumulant trois types de dettes », alors qu’il est probable qu’elle ne soit pas surendettée.
Quelques indicateurs du risque de surendettement
En 2022, 12,1% de la population totale vivait dans un ménage avec au moins un arriéré de paiement ; ils étaient 17,7% en 2013, 18,9% en 2017 et 14,9% en 2020[4]. Parmi ces personnes, différencions :
- Par tranche d’âge : en 2022 les plus nombreux sont les enfants et les jeunes, de 0 à 17 ans, qui sont 19,7% à vivre dans un tel ménage, ce qui contribue à illustrer l’impact d’un enfant sur le budget des familles. Ce constat diffère des années précédentes, pour lesquelles ce sont les personnes de 17 à 24 ans qui forment la majorité de ces ménages, avec une proportion de 23,4% en 2020 (contre 19,7% d’enfants jusqu’à 17 ans) ; 25,4% en 2017 (contre 25,2% d’enfants) et 27,0% en 2013 (contre 21,4% d’enfants).
- Par statut d’activité : sans surprise, les personnes au chômage étaient 32,9% à vivre cette situation en 2022, contre 11,9% des actifs occupés (39,2% en 2013 ; 43,7% en 2017 et 35,3% en 2020).
- Par structure du ménage : outre la classe de revenu, qui joue évidemment un rôle[5], les familles monoparentales courent un grand risque de se retrouver dans une situation de surendettement : 19,6% d’entre elles possédaient au moins un arriéré de paiement, soit un ménage sur cinq environ (elles étaient 28,1% en 2013 ; 36% en 2017 ; 26,6% en 2022).
Les raisons du recours à l’endettement sont aussi un bon indicateur de la précarité des situations et du risque de surendettement[6] : Ainsi, nous constatons que les ménages aux revenus les plus élevés financent principalement un bien immobilier (hors résidence principale) ou un véhicule par le crédit. Les ménages aux revenus les plus faibles acquièrent également principalement un véhicule. En revanche, ils financent aussi souvent des dépenses de la vie personnelle, l’achat d’équipement ou d’objets, la couverture de frais de santé ainsi que le remboursement d’autres dettes par le crédit.
Pas de surprises quant aux principales dettes des ménages
Les types d’arriérés de paiement restent les mêmes : il s’agit des impôts, suivis des primes d’assurance-maladie, d’autres factures, puis des factures d’eau, d’électricité, de gaz et de chauffage. Le remboursement de crédits arrive en avant-dernière position, suivi des pensions alimentaires[7]. Les arriérés d’impôts frappent surtout les ménages les plus pauvres, en particulier en présence d’une situation de chômage (19,5% en 2022) ou de privation (30,4%)[8].
Besoin d’un développement des statistiques en matière de surendettement et de poursuites
Des statistiques différenciées permettent de mieux comprendre les phénomènes. Leur manque est criant en matière de poursuites, puisque les statistiques de l’OFS ne différencient pas entre les procédures visant les entreprises et les procédures touchant les particuliers. De même, il n’est pas possible de connaître le nombre de procédures de poursuites en cours, mais uniquement le nombre de commandements de payer[9]. Or, plusieurs commandements de payer peuvent concerner le même débiteur. Espérons que les modifications législatives en cours[10] suscitent un développement des statistiques et procurent des instruments de pilotage plus fins aux responsables des politiques publiques.
Pour d’autres éclairages, voir notre rubrique Social >> Pauvreté >> Endettement et surendettement
[1] Selon les enquêtes SILC précédentes, les ménages qui comprenaient des débitrices ou des débiteurs inscrits dans un office des poursuites s’élevaient à 6.1% de la population totale en 2013, à 7,6% en 2017 et à 6,9% en 2020 (juste avant la pandémie de COVID-19). Source : tableau « Poursuite ou acte de défaut de biens, selon différentes caractéristiques socio-démographiques », https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32426665.html, consulté le 29.10.2024.
[2] Voir le tableau « Répartition des personnes selon le nombre de cartes de crédit dans le ménage, selon différentes caractéristiques socio-démographiques », https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32426666.html, consulté le 29.10.2024.
[3] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32426723.html, consulté le 29.10.2024.
[4] Source : tableau « Présence et cumul de types de dettes, selon différentes caractéristiques socio-démographiques, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32426657.html, consulté le 29.10.2024.
[5] En 2022, 23,4% des arriérés de paiement concernaient des ménages avec un revenu disponible de moins de 33’748 francs et 69% dans les ménages en situation de privation.
[6] Source : diagramme « Pourcentage de la population vivant dans un ménage avec au moins un type de crédits, un compte à découvert ou une facture impayée sur cartes de crédit, en 2022 », https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32427182.html, consulté le 29.10.2024.
[7] Diagramme « Pourcentage de la population vivant dans un ménage avec au moins un type d’arriéré de paiement, selon le type d’arriéré », https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32426710.html, consulté le 29.10.2024.
[8] Diagramme : pourcentage de la population dans un ménage avec au moins un arriéré d’impôt, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.assetdetail.32426717.html, consulté le 29.10.2024.
[9] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/aktuell/agenda.assetdetail.31186341.html, consulté le 29.10.2024.
[10] Sur le site de l’Artias, voir notamment la veille législative (https://artias.ch/artias_veille/synthese-travaux-legislatifs-federaux/) ainsi que l’onglet « endettement et surendettement» du portail thématique, https://artias.ch/artias_theme/endettement/, consultés le 29.10.2024.