L’Office fédéral de la statistique annonce des chiffres records
Pour la quatrième année consécutive, le nombre d’ouvertures de faillites augmente. S’il avait diminué en 2020, que l’on peut qualifier d’année Covid, il progresse depuis 2021. En 2024, il a crû de 10,3% par rapport à 2023. L’OFS souligne que le nombre d’ouvertures de faillites a plus que doublé depuis les années 1990. Notons que ces résultats comprennent tant les faillites des entreprises que celles des particuliers, procédures de répudiation de l’héritage y compris.
En revanche, les pertes financières résultant des clôtures de faillites ont baissé, aussi pour la quatrième année consécutive. Il faut toutefois relativiser la portée de ce dernier résultat, puisqu’une seule faillite clôturée en 2020 avait occasionné des pertes de 6,5 milliards après une procédure qui avait duré plus de 16 ans. Depuis 2020, le montant des pertes baisse chaque année et les pertes sont d’ailleurs plus basses ces quatre dernières années que durant les années 1995 à 2010.
Dans le domaine des poursuites également, la tendance est à la hausse : 3 306 997 commandements de payer ont été établis en 2024, donnant lieux à l’exécution de 1 780 757 saisies et à 698 228 réalisations. Ces actes peuvent aussi concerner tant des entreprises que des particuliers. Par ailleurs, le montant des créances faisant l’objet de ces actes de poursuites est inconnu, tout comme la ventilation de ces derniers par débitrice ou par débiteur.
Une appréhension statistique lacunaire de l’exécution forcée
Comme nous l’avions déjà relevé, les statistiques des poursuites de l’OFS restent lacunaires, puisqu’elles ne permettent pas de différencier les particuliers des entreprises, ni d’ailleurs de donner une idée des montants qui font l’objet d’une procédure de poursuites ou de la ventilation des actes de poursuites par débitrice ou par débiteur. Tant sur le sujet des faillites d’entreprises que sur celui du surendettement des particuliers, la statistique de l’Office fédéral permet tout au plus d’éclairer l’obscurité au moyen d’une allumette.
Le business avec les chiffres
En ce qui concerne les entreprises, le Centre de recherche conjoncturelles de l’école polytechnique de Zurich a étudié l’évolution des faillites d’entreprises sur la base de chiffres du registre du commerce, collectées et traitées par une société de recouvrement et de renseignements sur la solvabilité, Dun & Bradstreet AG.
Au sujet des particuliers, la société CRIF SA a récemment publié un taux de débiteurs de 5,5% et, contrairement aux statistiques officielles, ce taux se trouve en léger recul. Cette information a fait l’objet d’un communiqué de presse et a ensuite été reprise par plusieurs médias.
Ainsi, à défaut de statistiques officielles, la recherche, les services de l’État ainsi que la presse utilisent les données de sociétés privées à l’origine actives dans le recouvrement de créances, permettant ainsi à ces dernières de développer une seconde activité lucrative en monnayant leurs bases de données de débitrices et de débiteurs.
Toutefois, le chiffre conférant l’apparence de la vérité à une information, la question de la méthodologie de la récolte de ces données n’est que rarement posée. Et c’est dommage : en réponse à cette question, nous avons appris que le taux de débiteurs en question est calculé sur la base des données des sociétés de recouvrement, des télécommunications du e-commerce et de la vente par correspondance.
Cela signifie que les chiffres qui servent à produire cette statistique proviennent principalement de l’activité de recouvrement. Ce qui est en baisse, ce n’est donc pas le taux de débiteurs, mais les actes de poursuites liés à l’activité de recouvrement. Cela ne peut pas être considéré comme équivalent, puisqu’en particulier, les créances fiscales ne font pas partie de la base statistique, ni d’ailleurs les créances de l’assurance-maladie, du moins dans leur majorité, alors que ce sont les deux types de dettes les plus fréquentes chez les particuliers.
Contrairement à ce qui est mentionné dans le communiqué de presse de la société, le « taux de débiteurs » ne permet par conséquent aucune déduction générale, ni concernant les régions, ni par rapport à l’âge et encore moins concernant le genre des personnes surendettées, puisque dans un couple, c’est souvent la personne qui réalise le revenu le plus important qui contracte ou qui est l’objet d’une procédure de poursuites pour une créance solidaire.
Dans l’attente de statistiques parlantes
Le manque de statistiques publiques signifiantes représente un double dommage, puisqu’il empêche d’évaluer une réalité représentée comme inquiétante selon les indicateurs et qu’il permet aussi à des entreprises privées de combler cette importante lacune par des services lucratifs dont on peut questionner la méthodologie.
Or, en matière de surendettement, le besoin de monitorage est avéré. En ce qui concerne les particuliers, il devient même crucial, puisqu’il permettrait d’évaluer les effets des modifications des dispositions concernant les dettes de l’assurance-maladie, qui sont entrées en vigueur entre le 1er janvier 2024 et le 1er juillet 2025, et, à l’avenir, les éventuelles modifications de la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite actuellement en discussion. La situation des entreprises également doit être mieux documentée, ne serait-ce qu’en raison de la faculté, introduite au 1er janvier 2025, pour les créanciers publics de les poursuivre par la voie de la faillite.
Un pas vers cette direction a été franchi par la Confédération, qui demande dès le 1er janvier de cette année aux offices des poursuites de différencier les actes de poursuites et de faillites au moyen du n° IDE (pour les entreprises inscrites au registre du commerce) et du n° AVS (pour les particuliers et les sociétés simples non inscrites au registre du commerce)[1]. Dès 2026 au plus tôt, il devrait être possible d’éclairer mieux la problématique du surendettement, qui représente une donnée essentielle de l’activité économique d’une société.
Pour d’autres éclairages, voir notre rubrique Social >> Pauvreté >> Endettement et surendettement
[1] Instruction no 10 du 1er septembre 2023, consultable sur le site https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/wirtschaft/schkg/weisungen.html, consulté le 15 avril 2025.