Bref historique de la révision bouclée par le Parlement lors de la session d’été 2020[1].
En juin 2020, lors de cette session d’été, le Parlement s’est accordé sur la réforme de l’assurance invalidité. Amorcée en 2017 par le Conseil fédéral[2], la réforme poursuit le « changement de paradigme » initié par les révisions précédentes, la transformation de l’AI d’une assurance de rente en une assurance de réhabilitation. Ses grandes lignes : le passage à des rentes linéaires, des mesures de réinsertion supplémentaires pour les personnes atteintes dans leur santé psychique et un meilleur contrôle des expertises.
Le projet du Conseil fédéral, point de départ de la révision, comprenait en particulier les mesures suivantes :
En matière de réinsertion, il prévoyait notamment une série de mesures pour les jeunes et les adultes atteints dans leur santé psychique. Il visait aussi à améliorer la coordination avec les acteurs institutionnels (autres assurances, aide sociale) et les employeurs.
En ce qui concerne les rentes, le Conseil fédéral prévoyait de remplacer le système actuel par un calcul de rente linéaire. Le taux d’invalidité de 40% serait resté le minimum pour toucher une rente et aurait donné droit à un quart de rente et comme c’est le cas actuellement, une rente entière aurait été octroyée à partir d’un taux d’invalidité de 70%. Le projet prévoyait aussi aussi que les jeunes en formation ne percevaient plus des indemnités journalières de l’AI, mais un salaire correspondant à celui versé à des apprenti-es.
Le projet du Conseil fédéral était neutre du point de vue des coûts.
Le Conseil national s’empare du projet au printemps 2019. Il soutient le Conseil fédéral sur le principe et s’en écarte sur les points suivants : en premier lieu, pour réaliser des économies, il propose de baisser les rentes pour enfants à 30% de la rente pour adulte, au lieu de 40% actuellement. Il refuse la proposition d’inscrire une obligation d’employer au moins 1% des travailleurs concernés par l’AI dans les grandes entreprises. Le Conseil national ajoute une obligation d’indépendance pour les experts travaillant sur mandat de l’assurance-invalidité, répondant au débat public sur le rôle, la rémunération et la qualité du travail des expertises qui reste d’actualité jusqu’à ce jour[3].
Les rentes linéaires reçoivent également l’aval du Conseil national, avec la disposition prévoyant que les rentiers de plus de 60 ans ne subiront aucune adaptation de rente suite au changement de mode de calcul.
Lors de la session d’automne 2019, le Conseil des Etats refuse de baisser le montant de la rente pour enfants, en particulier parce que la réforme des prestations complémentaires venait d’être achevée, qu’elle prévoyait également des mesures d’économies et notamment une baisse du montant destiné aux enfants de moins de onze ans et qu’il ne fallait pas prétériter davantage les familles et les enfants des rentiers AI[4]. Le Conseil des Etats demande à ce que les rentes ne subissent aucune baisse pour les assuré-es dès 55 ans et non dès 60 ans comme le proposent le Conseil fédéral et le Conseil national.
Enfin, pour améliorer la qualité et l’impartialité des expertises, le Conseil des Etats propose que les Offices AI tiennent à jour une liste statistique sur les centres d’expertises et que les entretiens entre expert-es et assuré-es soient enregistrés. C’est la version du Conseil des Etats qui a été adoptée par le Parlement le 19 juin dernier.
Si les dernières révisions de l’assurance-invalidité ont surtout été motivées par des volontés d’économies et de transformation de l’AI en « assurance de réadaptation » (tendance amorcée par la 5ème révision de l’AI en 2008[5]), le projet actuel renforce certes la réadaptation, mais n’épargne pas massivement sur les prestations en argent versées aux assuré-es. Certaines rentes augmenteront, d’autres diminueront toutefois, lors du passage au système de rentes linéaires entre un taux d’invalidité de 40% (quart de rente) et un taux de 70% (rente entière). Le changement du mode de calcul sera appliqué aux nouvelles rentes (à partir de l’entrée en vigueur de la réforme) et lors de révisions[6]. Les rentes des assuré-es âgé-es de 55 ans et plus lors de l’entrée en vigueur de cette révision seront toujours calculées selon l’ancien droit.
La réinsertion et l’insertion professionnelle des personnes assurées à l’AI reste un objectif louable lorsqu’elle est possible. Elle a toutefois ses limites, constituées tant par l’état de santé de l’assuré-e que par les possibilités d’insertion des entreprises. Un rapport sur la réinsertion professionnelle et psychosociale du point de vue des assurés[7] avait mis les différentes mesures en perspective et également montré que même les assurés « réinsérés » peinaient à réaliser un revenu qui leur permette réellement de vivre.
Enfin, il est intéressant d’observer que la question des expertises a fait son entrée dans la loi. À la fin de l’année 2019, le Conseil fédéral a ouvert une enquête interne sur le fonctionnement des Offices AI cantonaux, qui devra également aborder cette question. La faîtière Inclusion Handicap a mis sur pied un centre de déclaration destiné aux victimes de l’arbitraire de l’AI dans le domaine des expertises médicales[8].
L’entrée en vigueur de la Loi sur l’assurance-invalidité révisée est prévue pour 2022[9].
Artias, Paola Stanić, juriste
Pour d’autres informations, voire notre rubrique Social >> Assurances sociales >> Assurance invalidité >> Développement continu de l’AI
[1] Les détails se trouvent dans la Veille législative de l’ARTIAS, au chapitre « développement continu de l’AI ».
[2] Message du Conseil fédéral, FF 2017 p.2363
[3] Voir la revue de presse de Procap
[4] Voir le dossier de Veille ARTIAS sur le sujet
[5] https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-79385.html
[6] Avec une application différenciée selon l’âge de l’assuré, voir art. II des dispositions transitoires de la LAI révisée
[7] Résumé sur le site de l’ARTIAS
[8] https://www.inclusion-handicap.ch/fr/politique/developpement-continu-de-lai_0-519.html
[9] Sécurité Sociale CHSS, mars 2020 « Deux législatures marquées par le développement continu de l’AI«